Réponse à Edgar Morin sur « l’universelle Marseillaise »

Edgar Morin, sociologue, philosophe, directeur de recherche émérite au CNRS, etc… a fait paraître un article dans le Journal « le Monde » du 18 & 19 mai 2014 (p.16) réagissant ainsi aux propos tenus le 13 mai 2014 par l’acteur Lambert Wilson sur RTL : « Je suis extrêmement énervé que personne ne dise qu’il est temps de changer les paroles de la Marseillaise qui sont d’un autre temps. Ces paroles sont épouvantables, sanguinaires, d’un autre temps, racistes et xénophobes même si la musique est fantastique »…(sic).
Cette réaction de Lambert Wilson faisait écho à une agitation médiatique récente car Christiane Taubira, Ministre de la Justice, n’avait pas chanté la Marseillaise lors d’une commémoration relative à  l’esclavage quelques jours plus tôt à Paris. Un orchestre jouait à coté d’elle, et une cantatrice interprétait l’hymne. Dans un tel contexte Madame Taubira est restée recueillie, en situation « d’écoute » dit-elle. Sincère ou non, cette position peut s’entendre. Dans cette France éternellement divisée, tous les prétextes sont bons pour déclencher « la curée ».
Voici le corps de L’article d’Edgar Morin intitulé « l’universelle Marseillaise » suivi de ma réponse envoyée sans illusion au journal « le Monde » :

« La Marseillaise, que l’on chante désormais dans une étonnante unanimité, des communistes aux lepénistes, vient d’être brutalement mais justement secouée. (…) Cela vient de l’acteur Lambert Wilson qui à la suite de remous anti-Taubiresques causés par la droite, s’est soudain senti honteux des paroles -racistes, dit-il abusivement-, en fait sanguinaires et vengeresses du 1er couplet, que l’on chante en ignorant les autres. Ce couplet apparaît révoltant et absurde si on le place dans notre conjoncture actuellement pacifique. J’ai voulu expliquer pourquoi il me paraît important de l’assumer quand même.
Le 1er couplet de la Marseillaise, qui est seul exécuté, mémorisé et chanté, surprend. Cet hymne de combat (il fut celui de l’armée du Rhin) est tout à fait différent des hymnes nationaux, qui sont quasi religieux et liturgiques, à la Nation (Deutchland über alles : « l’Allemagne au dessus de tout ») ou à la royauté symbole de la Nation (God save the King : « Que Dieu sauve le roi »).
Cet hymne de combat est un hymne d’éveil et de résistance à l’invasion des armées royalistes conjurées. Le danger est aussi mortel pour la République naissante. Son caractère sanguinaire est lié à ce moment d’exaltation, voir d’ivresse vitale. Et surtout il lie indissolublement l’identité de la République à la résistance  aux tyrannies. Il lie non moins indissolublement l’identité de République à l’idée de France. »

Edgar Morin nous propose ensuite son analyse des paroles couplet par couplet pour servir ses propos. Il termine ainsi :

« La Marseillaise dans son intégrité est donc un grand hymne où sont associées Nation, République, universalisme, liberté, dans une intensité frémissante qui est justement celle de l’an I, de Valmy, du moment fondateur de la France Républicaine et du moment paroxystique de la défense de la liberté nationale. Le premier couplet porte cette marque. Il est remémorateur, commémorateur, régénérateur. En dépit de ses excès de langage qui, en contrepartie, apportent un extrême romantisme, il doit être conservé. En revanche il faut ressusciter les 11eme et 12 eme couplets, qui correspondent si bien à nos temps planétaires d’interdépendance des peuples et de communauté de destin de toute l’humanité. Ils portent en eux l’universalisme de l’ère planétaire déjà présent dans le message de la Marseillaise. (!!!)
Enfin, la Marseillaise est un hymne d’éveil et de résistance qui a valu pour les résistances qui ont suivi, qui vaut pour celles que nécessite notre temps, et qui vaudra pour les résistances futures ».
Edgar MORIN.

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Comment essayer de se rejoindre devant tant de sophismes… Décidément les défenseurs des paroles sanglantes de la Marseillaise ont un vrai lien filial indissoluble avec la source dogmatique jacobine. « L’universalisme de l’ère planétaire » rejoint « le sang impur qui abreuve nos sillons ». « Un hymne d’éveil, de résistance »… excepté pour tous les français (de toutes conditions) qui ne partageaient pas ce point de vue et ont été assassinés au son de la Marseillaise sous la terreur, du 10 août 1792 au 28 juillet 1794… dont beaucoup étaient des amis politiques de Rouget de Lisle !!!
Voici donc ma réponse à Monsieur Edgar MORIN : sociologue, philosophe, Directeur de recherche émérite au CNRS, Président de l’agence européenne pour la culture, Président de l’Association pour la pensée complexe :

Cher citoyen MORIN,
Comment un homme aussi émérite que toi peut-il se laisser aller vers un tel conservatisme ?
Comment défendre en 2014 les paroles du premier couplet de la Marseillaise et son refrain, devenu de fait l’hymne de la France ?
Comment défendre aujourd’hui ce mythe fabriqué de toutes pièces au milieu du 19ème siècle par un cercle d’artistes et de politiques, pour les besoins cocardiers d’une autre époque.
Comment peut-on affirmer cher camarade citoyen, que ce premier couplet avec son refrain sanguinaire peut apparaître « révoltant et absurde » seulement au regard de « notre conjoncture actuellement pacifique »…
Te voilà donc à ton tour réactionnaire, ennemi de la civilisation humaine.
La violence appelle la violence…
Depuis deux siècles ces paroles excitent notre pornographie sanglante, inculquées dès notre plus jeune âge : a-t-on le droit d’y échapper… de devenir libre de la haine ?
« Qu’un sang impur abreuve nos sillons » signifie une intention de transformer l’autre « en engrais, en fumier liquide »… Est-ce cela ton projet civilisateur ?
Notre époque est celle de tous les dangers : nous pourrions peut-être demain refaire une guerre pour une cause, une liberté, un égoïsme…
S’il nous faut combattre : que nos cerveaux soient enfin libérés du « chant au sang impur » afin de désigner par d’autres mots nos ennemis, aussi appelés nos frères humains.
Sais-tu camarade citoyen que ces mots, dès l’origine, ont accompagné des dizaines de milliers de Français vers la monstrueuse guillotine, placé des villes entières sous le joug de la barbarie (Marseille, Toulon, Lyon, Paris, Bordeaux, etc, etc…).
Sais-tu que ces mots ont aussi accompagné les meurtres de centaines de milliers de vendéens en 1794 ? Militairement vaincus ils avaient déposé leurs armes et demandé grâce. Hommes, femmes, femmes enceintes, enfants, bébés, vieillards, handicapés…vont être massacrés au son de la Marseillaise. Génocide pour Gens simples, anéantis essentiellement pour leurs convictions religieuses et politiques différentes des « guides » révolutionnaires qui s’étaient autoproclamés « les purs »…
Quand tes yeux vont-ils enfin se dessiller avant de quitter ce monde ?
Tu crois citer l’hymne allemand en mentionnant le « Deutschland über alles » mais tu feins d’ignorer que les Allemands ont déjà fait ce travail sur leur hymne, intitulé Deutschlandlied (chant d’Allemagne). Ils ont supprimé les paroles ambivalentes depuis 1991. Tu ne peux l’ignorer mais n’en dis mot pour servir une cause déjà perdue sur le méridien de l’histoire humaine.
Oublies-tu que plus de 20 pays à travers le monde ont revu leur hymne dont la Russie qui a changé les paroles du sien en 2000.
Alors gardons la musique unique entre toutes et dont l’ensemble des chercheurs en musicologie depuis l’origine doutent fortement qu’elle soit de Rouget de Lisle… Oui, composons de nouvelles paroles pour que s’élève enfin une autre Marseillaise sur la France.
Ce ne sera pas « la destruction du lien filial à la république » mais le début d’une vraie révolution des consciences (voir l’onglet « histoire » de ce site).
Salut et Fraternité.

Citoyen Pierre Ménager
« une autre Marseillaise pour la France »

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Extrait du blog du "Monde" des lecteurs du 2 juin 2014
Extrait du blog du « Monde » des lecteurs du 2 juin 2014

(Ci-dessous : ma réponse à Edgar Morin revue, et réécrite par « le Monde » pour le Blog des lecteurs…
L’esprit provocateur a été supprimé, plus gênant le passage de recadrage à propos du « Deutschland über alles » également supprimé. Mais ils ont gardé quand même le principal et mis un lien avec le site…)

La défense de l’hymne national par Edgar Morin dans son analyse «Universelle Marseillaise » (Le Monde du 19 mai),  a suscité un abondant courrier de lecteurs. Chacun défend sa bonne version du fameux chant écrit en 1792 par Rouget de Lisle pour l’armée du Rhin (et adopté comme hymne national en 1879).  Entre ceux qui la défendent et ceux qui la rejettent, une certitude : La Marseillaise ne laisse pas sans voix.  En introduction de cette longue suite de lettres − huit au total − , Winfried Schmitt, de Berlin, défend l’idée d’une égalité entre les deux hymnes nationaux de part et d’autre du Rhin, à la fois nationaux et universels. 

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Pour d’autres paroles sur le même air 

Comment  Edgar Morin peut-il se laisser aller vers un tel conservatisme ? Comment défendre en 2014 les paroles du premier couplet de La Marseillaise et son refrain, devenu de fait l’hymne de la France ?
Comment défendre aujourd’hui ce mythe fabriqué de toutes pièces au milieu du XIXe siècle par un cercle d’artistes et de politiques, pour les besoins d’autres intérêts cocardiers propres à leur époque ?
Comment peut-on affirmer  que ce premier couplet avec son refrain barbare (pour un hymne) peut apparaître « révoltant et absurde » seulement au regard de «notre conjoncture actuellement pacifique »…
Depuis deux siècles ces paroles excitent notre « pornographie» sanglante, inculquées dès notre plus jeune âge : a-t-on le droit d’y échapper… de devenir libre de la haine ?
« Qu’un sang impur abreuve nos sillons » signifie une intention de transformer l’autre en engrais, en fumier liquide…
Notre époque est celle de tous les dangers : nous pourrions peut-être demain refaire une guerre pour une cause, une liberté, encore imprécise aujourd’hui, mais qui sait…
Je n’ai qu’un souhait pour combattre : que nos cerveaux soient enfin libérés du « chant au sang impur » afin de désigner par d’autres mots nos ennemis, aussi appelés nos frères humains.
Ces mots dès l’origine ont accompagné des dizaines de milliers de Français vers la monstrueuse guillotine, placé des villes entières sous le joug de la barbarie (Marseille, Toulon, Lyon, Paris, Bordeaux, etc., etc.). Ces mots ont aussi accompagné les meurtres de centaines de milliers de Vendéens en 1794 ! Militairement vaincus, ils avaient déposé leurs armes et demandé grâce. Les hommes, femmes, femmes enceintes, enfants, bébés, vieillards, handicapés… vont être massacrés dans un véritable génocide au son de la Marseillaise. Gens simples, anéantis essentiellement pour leurs convictions religieuses et politiques différentes des « guides » révolutionnaires qui s’étaient autoproclamés « les purs »… A travers le monde 20 pays ont revu leurs hymnes, dont la Russie qui a changé les paroles du sien en 2000.
Alors gardons la musique, unique entre toutes et dont l’ensemble des chercheurs en musicologie depuis l’origine doutent fortement qu’elle soit de Rouget de Lisle… Oui, composons de nouvelles paroles pour que s’élève enfin une autre Marseillaise sur la France. Ce ne sera pas « la destruction du lien filial à la République » mais le début d’une vraie révolution des consciences.

Pierre Ménager, créateur du site « une autre Marseillaise pour la France « 
https://www.uneautremarseillaisepourlafrance.fr

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C’est avec grand intérêt que j’ai lu l’analyse de La Marseillaise par Edgar Morin (Le Monde 19 mai ). J’aimerais ajouter une seule clarification concernant l’hymne national allemand, qui est mentionné dans ce contexte. Edgar Morin considère que celui-ci est une glorification « quasi religieuse et liturgique » de la nation. Comme preuve il cite les premiers mots : Deutschland, Deutschland über alles («l’Allemagne au-dessus de tout »).

Hélas ! Il s’agit d’un malentendu commun en Allemagne elle-même, résultat de la perversion de l’hymne par les nationalistes, surtout les nazis. En réalité, l’auteur du Chant des Allemands est un poète populaire du XIXe siècle, August Heinrich Hoffmann von Fallersleben,  romantique, patriote et libéral. Son chant avait pour but de rallier les Allemands au moment de la crise rhénane de 1840 : contre la menace extérieure et contre les 30 principautés autocrates comme la Prusse. C’était eux qui s’opposaient à l’unité et à la liberté de la nation !

le texte « Deutschland, Deutschland über alles, über alles in der Welt, Wenn es stets zu Schutz und Trutze brüderlich zusammenhält! » doit être compris par « L’Allemagne, l’Allemagne sera au-dessus du monde, si elle reste toujours fraternellement unie dans la défense de la patrie. » Cette patrie est définie par les limites géographiques de la langue allemande de ce temps-là, la fameuse « Kultur-Nation » et point par une volonté expansive.

Elle est définie par la beauté de ses femmes, de ses chants, de son vin et par sa volonté politique d’achever, comme le préconise la dernière strophe, que l’on chante seule aujourd’hui «union fraternelle, droit constitutionnel et liberté» « Einigkeit und Recht und Freiheit ». Dans quelques semaines les présidents Hollande et Gauck vont commémorer ensemble les morts d’une terrible guerre. C’est le moment juste pour se rappeler l’origine commune de nos républiques. Toutes les deux partagent un hymne national et universel.

Winfried Schmitt, Berlin

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