Pierre Ménager répond à l’historien Bernard Richard sur « le sang impur de la Marseillaise »

Dans son livre « Les emblèmes de la république » (page 217) l’historien Bernard Richard écrit : « la Marseillaise n’attaque pas les étrangers mais les seuls ennemis de la liberté, que ceux-ci soient des Français ou des étrangers ».
Voici une tournure de style brillante en apparence mais qui justifie de tous les crimes révolutionnaires. Robespierre disait exactement la même chose. Maintenant allez consulter sur internet la liste nominative des guillotinés sous la terreur révolutionnaire, vous découvrirez parfois le motif futile de leur mise à mort… ainsi ces carmélites de Compiègne, au motif qu’elles persistaient à célébrer la messe secrètement, furent guillotinées sur l’actuelle place de la nation à Paris le 17 juillet 1794 vers 19 heures ; ou près de Lille, ces deux jeunes sœurs de 17 et 20 ans qui jouaient du clavecin fenêtre ouverte par une belle journée ensoleillée et qui furent décrétées immédiatement d’arrestation puis guillotinées deux jours plus tard (on ne fait pas de la musique quand les Français viennent de perdre une bataille à coté d’ici leur a-t-il été signifié). Les enfants Vendéens ont payé un lourd tribu à la répression : étaient-ils « des ennemis de la Liberté » ? Pourtant la Marseillaise était le chant de leurs tortionnaires.
Non, « le sang impur » de la Marseillaise ne désignait pas dans son contexte originel « les seuls ennemis de la liberté » mais les émigrés français et les soldats de la coalition étrangère à qui la France avait déclarée la guerre le 20 avril 1792 : ce n’est pas la même chose !
(lire l’onglet « Histoire » de ce site)
Voici maintenant le mail (tel qu’il nous est parvenu) de l’historien Bernard Richard envoyé à ce blog (le 10 juin 2014), suivi de la réponse de Pierre Ménager.

Bonjour,

Ce mail a été envoyé par Bernard Richard à « uneautremarseillaisepourlafrance.fr :

« Une vraie passion, une vraie idée fixe chez vous que d’accabler la Marseillaise, et pourquoi pas le Quatorze Juillet, en ce qu’il fut vite interprété dans la population comme commémorant la prise de la bastielle, et pourquoi pas le drapeau tricolore, encore un héritage de cette Révolution française dont vous rejetez la légitimité comme fondatrice d’une société apaisée, quand enfin la république se stabilisa alors que vous en faites une guerre civile en en oubliant les apports dans la création d’un régime libéral et démocratique, et laïque qui s’épanouit précisément quand Marseillaise puis Quatorze Juillet sont à nouveau et presque définitivement officialisés (sauf parenthèse vichyste). Je pense qu’il manque à votre ressenti de la Marseillaise tout ce qu’elle fut et est hors de France. Une République qui se proclame au Brésil (1889), en Espagne (1931) au son de la marseillaise, des camps de concentration dont la délivrance se fait, toutes nationalités confondue, au chant de la Marseillaise, une amie chilienne qui me répond, face à la critique des paroles parun acteur à Cannes, « les Français sont fous, qu’ils ne touchent pas à ma Marseillaise dont mon grand père m’avait appris et expliqué les paroles. Chant de liberté, de libération contre les tyrans intérieurs ou étrangers en Grèce, en Hongrie, en Pologne et ailleurs encore… Difficile de dialoguer avec des nostalgiques d’un autrefois bien aboli, des critiques acerbes d’un autre passé qui nourrit encore notre pays et en fait autre chose qu’un pays moyen de l’Europe. Allez donc hors de France, sortez de votre microcosme. »Dessin Franç. Fleur goutte de sang avec flaque

Réponse adressée à Monsieur Bernard Richard par Pierre Ménager pour « uneautremarseillaisepourlafrance.fr

Monsieur,
Parmi une centaine de livres « papiers » qui m’ont aidé à étayer ma réflexion et ma recherche (sans compter la multitude d’archives en France, à l’étranger et les ouvrages accessibles sur Internet…), j’ai découvert le vôtre sur « les emblèmes de la république » et ne le regrette pas. J’y ai puisé, comme dans chaque ouvrage, un nouvel enrichissement.
Cependant votre mail laisse à penser que vous n’avez pas lu l’onglet « Histoire » de mon site ; en effet vous semblez en ignorer le contenu ce qui limite mon intérêt pour cet échange.
Ma fonction de chef d’entreprise de plus de 50 salariés de ces trente dernières années, ne m’a pas permis de m’adonner à « des idées fixes » sur la Marseillaise ainsi que vous le suggérez de façon plutôt désobligeante. Nul doute : les salariés, les nombreuses sections syndicales et en particulier ma Fondation, m’auraient immédiatement remis dans la réalité si je m’en étais écarté… Depuis l’arrêt récent de mes activités professionnelles je parcours à nouveau le monde. Après un mois sur les hauts plateaux des Andes, je reviens à l’instant d’Afrique de l’ouest. Ceci pour vous éclairer sur « mon microcosme » restreint.

Venons à l’essentiel, à la question soulevée dans l’onglet « Histoire » du site.
Loin de moi l’idée fixe « d’accabler la Marseillaise », certaines de ses paroles s’en chargent toutes seules : « qu’un sang impur abreuve nos sillons » signifie notre intention de transformer l’ennemi en engrais.
La question du détournement progressif du sens de ces paroles de Rouget de Lisle à partir du coup d’état savamment et ouvertement organisé du 10 Août 1792 est au cœur de ma recherche. Vous le dites vous même : les nouvelles républiques du 19 et 20ème siècle se reconnaissaient parfois « au son de la Marseillaise », de son air unique entre tous. Remercions cette musique de nous avoir distingué dans l’histoire plutôt que ces paroles sanguinaires et belliqueuses destinées essentiellement aux ennemis extérieurs à qui nous avions déclaré la guerre en d’autres temps. Est-il nécessaire de rappeler régulièrement par notre hymne à nos partenaires et amis de l’Europe d’aujourd’hui qu’ils étaient hier le sang impur qui abreuvaient nos sillons ?

D’autre part, d’où tenez-vous que les armées Russes et Américaines chantaient la Marseillaise en délivrant les camps de concentration ??? Vos propos le laissent supposer… Bien sûr des prisonniers Français libérés ont dû la chanter comme nous l’aurions sans doute fait nous-mêmes, placés dans une telle situation.

Je ne partage pas votre affirmation : la révolution, trahie par ses guides à partir de la terreur n’a pas laissé une société apaisée mais a enfanté pour le très long terme un pays perpétuellement divisé dans lequel les Français s’épuisent aujourd’hui encore. En revanche je partage pleinement votre avis pour son rôle dans la construction d’un régime de référence libéral, démocratique et laïque. Comme c’est précisé au terme de l’onglet histoire de mon site, les autres emblèmes de la République ne souffrent pas, de mon point de vue et au regard de l’histoire, d’une autre ambiguïté. Alors pourquoi me parlez vous de la bastille, du drapeau tricolore… J’ai déjà répondu clairement à ces questions sur le site.
Vouloir d’autres mots pour chanter la Marseillaise, n’implique pas forcement de « rejeter la légitimité de l’héritage de la révolution » . En vous positionnant ainsi vous posez en préambule l’interdiction de penser différemment, autrement dit en vrai révolutionnaire.
Offrir des mots différents, sans ambiguïté, pour exprimer notre idéal de liberté et notre vigilance renouvelée vis à vis de la tyrannie ne changera rien à la grandeur de notre pays vu de l’étranger. Quand à la médiocrité de vos propos sur « les nostalgiques d’un autrefois bien aboli » (en d’autres mots ceux qui ne pensent pas comme vous sont des réactionnaires) je vous les laisse, cela n’a rien à voir avec le sens de mes recherches et de mon travail.
L’éducation qui me fut transmise me permet de vous adresser mes respectueuses salutations en laissant toujours entrouverte une porte pour un dialogue courtois mais sans concession.
P.M.

"On ne sait jamais ce que le passé nous réserve"... Françoise SAGAN
« On ne sait jamais ce que le passé nous réserve »…
Françoise SAGAN