Lettre du front 1914 - 1918

Centenaire 1914/1918 : les fosses communes de la mémoire

A Louis Jules Élie Ménager sergent au 89 ème régiment d’infanterie.

Le 23 novembre 2014 j’irai en Argonne comme chaque année, déposer quelques fleurs au milieu du champ de bataille de la Haute Chevauchée près du village de « Lachalade », approximativement à l’endroit où tu reposes, le long du chemin de Courtes-Chausses…
Toi mon jeune grand-père de 28 ans, tué sur le coup ce 23 novembre 1914 alors que tu apportais une couverture à ton unique frère, blessé (mortellement lui aussi) en première ligne. Toi dont le corps enterré à la hâte avec dix sept autres de tes camarades du 89 ème RI dès le lendemain, ne sera jamais retrouvé.
Ton fils est né de la terrible nouvelle : 13 jours plus tard…
A regarder mon père chercher les traces de son père toute sa vie, j’ai compris que les paroles sanglantes et inutiles de la Marseillaise n’empêcheraient pas nos poilus de tomber dans l’oubli. Il restera l’Amour, la force de nos pensées pour garder leur mémoire et parler à leurs âmes. Sans doute sommes-nous la dernière génération tournée encore un peu vers eux. Combien d’ardents défenseurs de ce chant, portent vraiment la mémoire, le souvenir de leurs souffrances, de leurs vies brisées.
Passées les actuelles commémorations de circonstance reviendra le silence et l’oubli dans ce vallon perdu d’Argonne, aujourd’hui recouvert d’arbres, pour moi devenu sacré.
Grand-père, dans un acte dérisoire, j’ai fait graver ton nom sur une pierre de l’ossuaire de Douaumont, (en rentrant à gauche, tout au fond, en haut…) toi qui oublié de tous, ne l’avais jamais eu nulle part…

Pierre Ménager
(le sang de la Marseillaise)

Ecrite à la hâte dans la tranchée, et datée du 23 novembre 1914, voici la dernière carte de Louis Jules Elie adressée à sa mère pour la rassurer. En plein combat, vers 15 heures, il apprend que son frère est grièvement blessé en première ligne. Il le rejoint avec une couverture, l’adosse contre un arbre et l’entoure avec. Mais en se relevant il s’effondre, atteint par une balle. Gustave restera 24 heures devant son frère mort. La nuit est froide, il neige un peu…Ses appels seront finalement entendus et il sera transporté à « l’hôpital » de campagne des Islettes (Clermont en Argonne) où il décédera 14 jours plus tard… Louis jules sera enterré en contrebas de la zone de combat avec 17 autres soldats.Carte de Louis Jules datée du 23 nov 14 001« Dans la tranchée, le 23-11-14. Petite Mère, deux mots seulement. Gustave et moi nous te souhaitons une bonne et heureuse fête. Nous sommes bien portants tous les deux. Je pense qu’il en est de même pour vous tous. J’ai une occasion de faire porter ces mots mais je n’ai eu que deux minutes pour les écrire. Tes enfants qui t’embrassent de tout cœur. Gustave et Jules ».

Même carte, coté adresse. Sans doute certaines adresses étaient rédigées en série comme le suggère cette belle, calme, et fine écriture régulière. Elle contraste avec celle de la carte (au verso) très agitée, désordonnée, et qui ne lui ressemble pas.
Même carte, coté adresse. Sans doute certaines adresses étaient préalablement rédigées comme le suggère cette belle, calme, et fine écriture régulière.
Quel contraste avec celle du verso reflétant agitation et inquiétude.

(Pierre Ménager archives personnelles – novembre 2014)